Vous reprendrez bien un peu de naloxone ?
Le mot naloxone ne parle pas à grand monde. Cette molécule capable d’inverser l’issue fatale d’une overdose, il y a des héroïnomanes qui n’en ont même jamais entendu parler, c’est dire.
C’est dire à quel point la diffusion de l’information et la cohérence font défaut bien plus que la naloxone.
Aujourd’hui, effet indésirable d’une meilleure prise en charge de la douleur, 78% des morts par overdose sont le fait des analgésiques opioïdes [1], devant l’héroïne et la méthadone. Plus nombreux à présent, le public que la naloxone peut sauver se distingue aussi par son armoire à pharmacie.
Le nombre d’overdose augmente, c’est un fait. Alors des plans de match et feuilles de route sont élaborés, suivis de communiqués blindés de solutions définissant les contours d’un monde idéal et naloxoné, débarrassé de l’overdose.
L’overdose est terriblement connotée « toxico ». Le mot est sulfureux, et la naloxone en fait les frais dans la même stigmatisation. Cinquante ans de prohibition et une opinion publique invariablement réticente à voir évoluer les politiques des drogues, ne présageaient pas d’un intérêt enthousiaste pour cette molécule. Les overdoses c’est pour les toxicos. Les malades, eux, respectent leurs prescriptions. Naloxone ? Pas besoin. Et la naloxone pour les autres, pour sauver des vies ? Ah... Tu ne savais pas que ton fils se drogue. Tu ignorais que ton ami fait n’importe quoi avec son ordonnance. Comme un toxico ?
Casser ce présupposé culturel, et étendre l’évocation de l’overdose jusqu’au gobeur de tramadol [2] prendra du temps.
En juillet dernier, le PCP et le syndicat Sud-Intérieur ont adressé aux administrations concernées une lettre [3] plaidant pour une dotation de kits de naloxone aux premiers secours que sont police, gendarmerie et pompiers pour pouvoir porter secours aux victimes d’overdose. Notre suggestion a été retenue par le ministère de la Santé qui l’a ajoutée à sa feuille de route [4].
Le collectif a tout fait pour être soutenu, et que cette idée apparaisse, visible telle une proposition digne de ce nom, dans les diverses tribunes à propos de l’accès à la naloxone, que nous avons vu passer. Notre insistance a été sans effet, mais nous restons persuadés que l’accès à la naloxone via les premiers secours est une première urgence de ce dossier.
Aux USA, le 911 connait une hausse des appels pour overdoses, et pourtant, au cœur de la crise opioïde, la naloxone est largement sortie de la confidentialité, son accès est facilité et chacun est informé de son utilité. Les premiers secours ne sont pas à négliger dans les attentes sur la naloxone, loin de là, c'est même une priorité.
- En attendant que les mentalités changent et qu’une information d’ampleur sans détour ni jugement, notamment vers les « publics à risque », soit considérée comme une priorité.
- En attendant que toutes les structures dédiées à la réduction des risques, CSAPA et CAARUD [5], dispensent de la naloxone. Ce qui n’est pas le cas. Exemple : seulement un tiers des CAARUD gérés par l’association AIDES en ont commandé.
- En attendant que les médecins et les pharmaciens soient tous informés de l’existence de cette molécule, renseignés et convaincus de son utilité.
- Puis que les médecins en prescrivent à leurs patients usagers de drogues opiacées, et aussi à ceux traités par opioïdes. Mais le mot « naloxone » sur une ordonnance met en question la responsabilité et la fiabilité du patient, de la posologie, de la pratique du médecin et la dangerosité de l'analgésique. Évoquer l’overdose parle de la mort et d’un risque à se soigner. Prescrire de la naloxone n’est pas aussi simple que de le dire.
- En attendant que l’entourage de chaque usager de drogue ou de médicament opioïde se soit vu remettre de la naloxone en cas d’overdose (la naloxone ne s'auto-administre pas...). Ce qui supposerait bien sûr que préalablement, chaque usager ait révélé sa consommation et ses pratiques à ses proches, avoué qu’il détient de la drogue dans le domicile (avec toutes les conséquences que cela peut présager). Et que chaque malade ait informé ne plus respecter la posologie, et avoir glissé vers une consommation problématique. Bref, que chacun ait anticipé en parlant ouvertement de la possibilité d’overdose. Science-fiction. Quelque chose qui ne se passe qu’en Théorie...
Là où le kit de naloxone n’est dans aucune poche, où on n’en a jamais entendu parler, auprès de ceux dont la vie c’est l’isolement, la rue, la précarité, ceux pour qui la consommation risquée d’opiacés - licites ou non - est un secret bien gardé, et qu’en aviser l’entourage est hors-sujet, là où survient l’« accident domestique », l’enfant qui avale des pilules interdites, le malade qui se trompe de médicament, là où personne ne sait reconnaître les signes de l’overdose, là où le temps presse, celui où un cerveau doit être alimenté en oxygène...
Tous ceux-là, ce sont a minima 90% de ceux qui sont susceptibles d’avoir besoin de l'antidote.
Et tous ceux-là passent aujourd’hui sous le radar réaliste de la naloxone.
Nous comptons sur les administrations compétentes pour mettre en œuvre cette mesure le plus rapidement possible, et nous re-sollicitons le ministère de la Santé avec l’insistance qui s’impose.
Paris, le 4 avril 2020
[1] Statistique OFDT
[2] « le tramadol, est au premier plan en termes d'overdose et de décès par overdose » selon la commission des stupéfiants et psychotropes de l'ANSM
[3] Overdoses et opiacés : Naloxone pour la police !
[4] Prévenir et agir face aux surdoses d’opioïdes : feuille de route 2019-2022
[5] CSAPA : Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie
CAARUD : Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction de risques pour Usagers de Drogues
Séra©
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