Naloxone, laboratoires pharmaceutiques, subventions et réduction des risques
31 août, journée internationale de prévention des overdoses
En préambule : il y a un an, le collectif Police Contre la Prohibition et le syndicat Sud-Intérieur ont publié et transmis une lettre plaidant pour une dotation de kits de naloxone aux premiers secours (police, gendarmerie et pompiers) pour pouvoir porter secours aux victimes d’overdose. Notre suggestion a été retenue par le ministère de la santé qui l’a ajoutée à sa feuille de route.
On ne peut pas parler d’overdose sans parler de naloxone, ni parler de naloxone sans évoquer la saga qui met en scène les laboratoires pharmaceutiques, les addictologues et les associations dédiées à la réduction des risques de l’usage de drogues.
En France, la naloxone actuellement disponible se présente sous trois formes :
Les deux formes galéniques de la naloxone sont nécessaires et ont chacune leurs avantages et leurs faiblesses : biodisponibilité, facilité d’administration, etc.
Mais la police et les pompiers devront être dotés de sprays, la réglementation française ne leur permettant pas de procéder à un geste d’injection.
La fin de Nalscue® était déjà presque actée qu’en juin 2019 Prenoxad® faisait son apparition sur le marché de la naloxone. Ce tout nouveau kit injectable représentant la seule forme accessible au public, il aurait fallu que ça se sache.
Au lieu de ça, à l’occasion de l’OverdoseDay d’août 2019, une campagne médiatique hors sol est déclenchée contre les pharmaciens, qui pour la plupart et très logiquement, ignoraient tout de ce médicament 2 mois seulement après son autorisation de mise sur le marché.
Info-buzz réduisant le problème de la diffusion de la naloxone à son accès en pharmacie, oblitérant le véritable manquement, celui d’une information grand public défaillante, et faisant peser la faute sur des professionnels supposés être des alliés de la réduction des risques.
Le 6 juin 2019, dans une tribune (JDD) 90 médecins tiraient pourtant le signal d’alarme sur le risque des opioïdes, et évoquaient l'absence d'information sur la prévention des overdoses : "Personne ne sait que la naloxone peut être prescrite par tous les médecins et qu’elle est en accès libre dans les pharmacies" (Dr Sebbah, France-info 24/06/2019)
Info sur un épiphénomène qui se réglera de lui-même, mais faisait de la journée internationale de lutte contre l’overdose en France, une sorte de trépignement sans intérêt et à coté de la plaque, ne s’adressant qu’aux initiés des tracas administratifs des labos pharmaceutiques.
Pharmaciens-bashing et info néanmoins relayée et mise en avant par un ponte de l’addictologie - qui suggérait au passage que la naloxone pouvait s’auto-administrer (France-info 02/09/2019) ce qui n’était pas la meilleure idée à diffuser - et ne cite pas une seule fois le mot Prenoxad®.
En octobre 2019, un courrier inter-associatif est envoyé au directeur d’Indivior pour évoquer à nouveau le problème de commercialisation du Nalscue®, mettre l’accent sur la nécessité d’une forme de naloxone en spray, suivi d’un courrier au CEPS, dans le but d’assurer du soutien des associations dans les négociations.
Dans la foulée, un article à ce sujet sort dans Le Parisien, mais toujours sans aucune information sur la seule forme de naloxone accessible au public... public peu informé et lectorat de ce journal, dont on doute fort de l’intérêt qu’il ait pu porter sur les tourments de la forme galénique d’un produit à base d’une molécule dont rien ne dit qu’elle peut le concerner.
Là encore, si le Nalscue® est bien mentionné en toutes lettres, Prenoxad® n’est pas cité.
Pour parfaire le tableau : Le PCP avait cosigné les courriers, mais la journaliste du Parisien n’a jamais daigné ajouter le mot "policiers" (soit 9 lettres) à son article malgré nos demandes réitérées. C’était bien moins par principe qu’eut égard au rôle essentiel que nous souhaitons voir la police jouer - et le faire savoir - dans le secours aux victimes d’overdose.
On pense que l’auteure de l’article n’avait en fait pas la moindre expertise ni intérêt pour le sujet. À une personne interviewée, elle dira : « Comment vous dites ? Produits "psychoactifs" ? » Et « Mais quand même les héroïnomanes ils l'ont bien cherché l'overdose, non ? »
C’est dire le chemin qu’il reste à faire, et les aléas des relais médiatiques.
C’est dire aussi l’incroyable parasitage de la communication sur la naloxone et les nécessaires messages de prévention, induit par l’importance que prennent les bonnes ou mauvaises fortunes de labos pharmaceutiques. Et l’importance de celles-ci sur le message délivré par les associations travaillant à la réduction des risques et les addictologues, quand les partis pris manquent de discrétion.
Mais c’est loin d’être un hasard.
Les associations et les médecins addictologues touchent des subventions et des dons de fonctionnement, de la part des laboratoires, et on peut imaginer que leur discours se trouve contraint par un échange de bons procédés.
Un tour d’horizons des acteurs de la réduction des risques sur le site dédié à la transparence, Base Transparence Santé donne un aperçu assez net de la mesure des liens existant entre laboratoires et entités de la RDR. Et permet de décrypter ce qui peut apparaître comme un oubli ou de la négligence dans un plaidoyer.
Exemple 1
En juin, l’association Addict’Aide diffusait un message d’information sur la naloxone via twitter. Message confus puisque l’intraveineuse ne peut être pratiquée que par un médecin de Samu, que "services de secours" désigne usuellement pompiers et police, lesquels ne sont pas dotés de naloxone, que le spray vit ses derniers temps et n’est quasiment pas disponible, et toujours pas un mot de Prenoxad®, seule version grand public de la naloxone.
Exemple 2
Le site supposément pédagogique naloxone.fr dont la quasi-totalité des associations est partenaire, et où la "boite à outils" ne propose que la documentation officielle de Nalscue®, est sponsorisé par... Indivior.
Le PCP considère en outre qu'il est abusif d'insister sur la nécessité d'une formation à l'emploi de la naloxone. Une information est bien sûr utile et bienvenue, mais hormis pour les professionnels, parler de formation peut rebuter, éloigner celui qui douterait de ses capacités à bien faire, et intuitivement, fait de la naloxone un produit difficile à manipuler, ce qui est faux.
Mundipharma est la filiale internationale de Purdue-Pharma, fabricant de l’OxyContin®, analgésique à l’origine du désastre de la crise opioïde en Amérique du nord. 450 000 morts, un bilan pire qu’une guerre. Aux Etats-Unis, ce laboratoire croule sous les procès : des États, des associations, des particuliers déposent plainte. Pendant des années, Purdue-Pharma a diffusé des messages promotionnels mensongers sur son médicament phare, le labo a corrompu des cohortes de médecins pour qu’ils le prescrivent et augmentent les doses. Purdue a également soudoyé un important éditeur de logiciel de gestion de dossiers de patients aux fins d’encourager et booster le fabricant, et inciter à la prescription de formes plus addictives.
Ce n’est pas tout.
Pour tirer profit jusqu’au bout de l’addiction aux opioïdes que le labo avait lui-même générée chez des centaines de milliers de personnes, comble du cynisme, il fabrique aussi l’antidote aux overdoses : la naloxone.
Purdue, et donc Mundipharma, produisent un spray de naloxone : le Nyxoid®.
Après un entretien "confidentiel" le 5 novembre 2019, un cercle restreint d’associations emmené par l'homme orchestre consultant tous corps d'État de l'organisation L630, met au point une opération séduction auprès du laboratoire Mundipharma.
Un des documents que nous nous sommes procuré évoque la possibilité que Mundipharma n’assure pas lui-même la commercialisation du spray. La mauvaise réputation du groupe Purdue en serait la raison. Un autre document indique qu’Indivior pourrait être le labo intermédiaire commercial.
Quoiqu’il en soit, Mundipharma dépose un dossier à la Haute Autorité de Santé et le Nyxoid® reçoit en mars 2020 un avis favorable au remboursement, grâce à un solide appui des associations, via la contribution de AIDES auprès de la HAS puisqu’ayant l’agrément pour ce type de demande.
AIDES gère des CAARUD : un tiers seulement de ses structures avaient commandé des sprays Nalscue®...
Un changement de laboratoire-fabricant suffirait-il à remédier à cette insuffisance, ou le problème est autre ?
Mundipharma n’est pas inconnu des structures RDR et d'addictologie. Ainsi par exemple en 2018, le labo accordait un don de 10 000 euros à ASUD, qui entre autres subventions, a d'ailleurs reçu autant d’Indivior.
Entre partenariats, dons, mécénat, etc, les liens financiers de ces subventions privées entre les labos et les associations sont très déterminants... et font le nid des conflits d'intérêts.
Mundipharma distribue des sommes colossales à d’innombrables partenaires. Comme Purdue aux USA, Mundipharma subventionne aussi des éditeurs de logiciels médicaux.
Le PCP ne s’est pas associé à cette initiative inter-associative et la désapprouve.
De notre point de vue assez neuf sur les associations et l’organisation de la réduction des risques, et considérant avec la même gravité que dans l’exercice de nos métiers, la matière première de notre militantisme qu'est l’humain, nous n’avons pas trouvé opportun de booster le chiffre d’affaire de Mundipharma en cosignant quoi que ce soit.
Ces interférences avec les labos prennent de façon générale une importance bien trop envahissante, et masquent les enjeux de la réduction des risques.
Au moment où le PCP a proféré le mot éthique, on a compris qu'on butait sur un obstacle. Et une certitude :
La réduction des risques, ce qui engage la vie et la mort, n'est pas compatible avec le jeu des subventions privées et ses exigences, les intérêts particuliers, les règlements de compte et l'opportunisme, et ne peut pas servir de marchepied à l'ambition.
On ne peut pas à la fois faire la danse du ventre devant un des laboratoires pharmaceutiques les plus criminels de l’histoire et, sans salir la mémoire de victimes de l’OxyContin®, promouvoir la naloxone du même fabricant.
Question de principe.
Paris, le 31 août 2020
CSAPA : Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie
CAARUD : Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction de risques pour Usagers de Drogues
CEPS : Comité Economique des Produits de Santé
TSO : Traitement de Substitution aux Opiacés
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